Kinés et pharmaciens en colère devant la CPAM 88
Une soixantaine de soignants étaient réunis ce jeudi devant le siège de la CPAM pour protester contre le refus de revaloriser le salaire des kinésithérapeutes. Les pharmaciens, eux, contestaient la réduction de leur marge sur les médicaments génériques. Une baisse qui pourraient provoquer la fermeture de certaines officines.
Ce jeudi 10 juillet, une soixantaine de kinésithérapeutes et de pharmaciens se sont réunis devant la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) des Vosges, à Épinal.
Une mobilisation interprofessionnelle dans le but de dénoncer, d’une seule voix, l’absence de revalorisation de leurs revenus, la baisse des marges et les décisions gouvernementales qu’ils jugent incohérentes et injustes.
Sur les t-shirts, des slogans explicites : « Kiné trahi ». Dans les mains, béquilles levées pour symboliser la colère. Les manifestants protestaient contre ce qu’ils perçoivent comme une série de reculs sociaux et économiques.
En toile de fond : une crise structurelle du système de santé, particulièrement aiguë dans les territoires ruraux comme les Vosges.

L’absence de revalorisation, perçue comme une trahison par les kinés
Pour les kinésithérapeutes, la pilule est amère. En 2023, un accord conventionnel avait été signé avec l’Assurance Maladie. Il prévoyait plusieurs engagements forts, notamment la mise en place d’un zonage contraignant pour les nouvelles installations.
Les jeunes diplômés doivent désormais exercer pendant deux ans dans des zones sous-dotées ou à l’hôpital. En contrepartie, des revalorisations d’honoraires étaient programmées, dont une partie significative au 1er juillet 2025.
Céline Chebal-Raizer, kinésithérapeute dans la Plaine des Vosges et présidente de la Fédération Française des Masseurs Kinésithérapeutes Rééducateurs 88 (FFMKR 88), estime que les kinés ont perdu environ 20 % de pouvoir d’achat en quelques années.
Mais cette revalorisation a été gelée sans préavis, en raison du déclenchement du « droit d’alerte » budgétaire. Ce mécanisme, prévu par la loi, s’active lorsque les dépenses de santé dépassent les plafonds définis en début d’exercice.
C’est le cas cette année, avec un déficit estimé à plus de 15 milliards d’euros, bien au-delà de ce qui avait été déjà anticipé, explique Pascal Enrietto, directeur de la CPAM 88.
Ce gel implique que plus aucune augmentation d’honoraires ne peut intervenir avant janvier 2026, une mesure ressentie comme une trahison par les professionnels.

Des charges en constante augmentation depuis dix ans
En parallèle de ce gel des revenus, les charges des cabinets des kinés s’envolent. Électricité, assurances, matériel médical. Tout augmente.
Pour les structures équipées de bassins de balnéothérapie, comme c’est le cas dans certaines communes des Vosges, la facture énergétique est devenue difficilement supportable.
Une situation jugée injuste, et surtout déconnectée de la réalité de terrain explique Céline Chebal-Raizer, kinésithérapeute dans la Plaine des Vosges et présidente de la FFMKR 88.
Les conséquences sont déjà visibles : certaines balnéos ferment, privant les patients de soins essentiels. D’autres cabinets renoncent aux actes à domicile, jugés trop peu rentables.
Les kinés sont de plus en plus nombreux à allonger leurs journées, à augmenter le nombre de patients par heure, voire à pratiquer des dépassements d’honoraires non autorisés.

Ces derniers ne sont tolérés que dans des cas très précis (exigence particulière de rendez-vous ou de déplacement), mais sont désormais utilisés par nécessité économique. Une situation qui fragilise encore davantage l’accès aux soins pour les plus précaires.
Céline Chebal-Raizer, kinésithérapeute dans la Plaine des Vosges et présidente de la FFMKR 88, développe l’impact de ce gel des revaloraisations.
Les pharmaciens alertent sur une potentielle fermetures des petites officines
Du côté des pharmaciens, le constat est tout aussi préoccupant. Le secteur fait face à une baisse des marges, notamment sur les médicaments génériques.
Pourtant, les responsabilités confiées aux officines ne cessent de croître : vaccination, dépistage, accompagnement des malades chroniques, premiers recours pour des affections bénignes… Autant de missions nouvelles qui ne sont pas suffisamment compensées.

La rentabilité de nombreuses petites officines est menacée. À terme, cela pourrait entraîner des fermetures, notamment en milieu rural, accentuant encore la désertification médicale. Certains syndicats estiment que le modèle économique des pharmacies de proximité est en danger.
Pascal Heintz, pharmacien à Darney, explique les revendication de la profession.
Si le déclenchement du droit d’alerte est conforme à la loi, les professionnels dénoncent un refus du dialogue politique.
Les syndicats ont demandé l’ouverture immédiate de nouvelles négociations conventionnelles, comme le permet la réglementation dans ce type de contexte exceptionnel. Mais selon les manifestants, la ministre de la Santé, Catherine Vautrin, a opposé un refus catégorique, sans même considérer la demande.
Trouver de nouvelles économies
À court terme, le gouvernement devra trouver environ 1,3 milliard d’euros d’économies pour respecter l’enveloppe votée.
Plusieurs pistes pourraient être explorées : meilleure régulation des indemnités journalières, réduction des coûts de transport sanitaire, et reconsidération de la définition des maladies chroniques pour hiérarchiser leur prise en charge.

Ces mesures seront discutées dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, présenté au Parlement à l’automne.
Pascal Enrietto, directeur de la CPAM 88, développe ces pistes explorées pour permettre ces économies nécessaires afin de respecter l’enveloppe votée.
Mais pour les professionnels de santé, ces solutions restent éloignées de leurs réalités de terrain. Sans revalorisation rapide ni mesures de soutien ciblées, le risque est de voir les soins de proximité reculer, en particulier dans les zones déjà fragilisées.
Bientôt de nouvelles actions prévues
Kinés et pharmaciens ont déjà prévu de nouvelles actions. La colère ne semble pas prête de redescendre. Le 14 juillet, une pétition à destination des patients sera diffusée. Et potentiellement de nouvelles mobilisations dans les rues françaises à l’automne.
Léa CANET
