Smartphones interdits au collège depuis cette rentrée 2025 : une mesure saluée ou un simple effet d’annonce ?

L’interdiction du téléphone portable à l’école et au collège, effective depuis une loi de 2018, est-elle insuffisante ?

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Depuis lundi, tous les collégiens de France doivent laisser leur téléphone portable au vestiaire. La Première ministre Élisabeth Borne a officialisé la généralisation de l’interdiction des smartphones et objets connectés dans l’ensemble des collèges, après une phase d’expérimentation jugée concluante. Mais sur le terrain, enseignants et syndicats s’interrogent sur l’efficacité réelle d’une telle mesure et sur les moyens qui lui seront consacrés.

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Une interdiction totale après une phase de test

En septembre 2024, 180 collèges avaient expérimenté une « pause numérique » auprès de 50.000 élèves. Concrètement, les élèves devaient déposer leurs téléphones dans des casiers sécurisés dès leur arrivée, pour ne les récupérer qu’à la sortie du collège. Les premiers retours auraient été positifs, encourageant la ministre de l’Éducation à élargir le dispositif.

Depuis lundi, l’interdiction est donc totale et concerne l’ensemble des terminaux de communication électronique : smartphones, tablettes et même montres connectées. En cas de voyage scolaire, un service vocal devra être mis en place pour permettre aux parents de joindre le collège.

Élisabeth Borne justifie cette décision par la nécessité de « favoriser les interactions entre élèves, réduire l’exposition aux réseaux sociaux et limiter les risques de harcèlement scolaire ». Elle estime aussi que « les collégiens doivent passer plus de temps à lire des livres qu’à consulter leurs écrans ».

Des moyens matériels et humains insuffisants

Pourtant, sur le terrain, la mise en œuvre suscite de nombreuses inquiétudes. Jacques Valentin, professeur d’histoire-géographie au collège de Yutz en Moselle et secrétaire départemental du SNES-FSU, se montre sceptique :

« Cette interdiction apparaît comme une mesure gadget, puisque la loi existe déjà depuis 2018. Dans la pratique, elle a toujours été très difficile à appliquer, faute de moyens. »

Jacques Valentin au micro de la rédaction

Le syndicaliste rappelle que gérer plusieurs centaines de téléphones à l’entrée d’un établissement est loin d’être anodin.

« Stocker entre 300 et 900 téléphones, c’est une responsabilité juridique et sécuritaire. Il faut des personnels pour surveiller, accompagner les élèves et sécuriser le processus. Or les CPE et les surveillants sont déjà en sous-effectif et surchargés de travail », explique-t-il.

Sur le plan financier, les collectivités locales sont directement concernées. L’Association des Départements de France estime que le coût des casiers nécessaires dépasserait 125 millions d’euros, une dépense qui devra être assumée sans réelle garantie que l’équipement soit généralisé d’ici fin 2025.

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Entre contradictions et réalités de terrain

Pour Jacques Valentin, cette généralisation souffre également d’une contradiction de fond.

« On annonce une pause numérique dans les établissements, mais dans le même temps, cela fait des années qu’on incite les enseignants à utiliser des outils numériques en classe. Les départements et régions financent massivement des équipements sans concertation avec les enseignants. Alors, veut-on protéger les élèves des écrans ou les encourager à les utiliser ? »

L’enseignant souligne que l’interdiction risque aussi d’être contournée : certains élèves pourront prétexter ne pas avoir de téléphone, en cacher un second ou trouver d’autres astuces pour échapper à la règle.

Un impact incertain sur le harcèlement scolaire

L’un des arguments avancés par le gouvernement est la lutte contre le cyberharcèlement. En privant les collégiens de leurs téléphones pendant le temps scolaire, les autorités espèrent réduire les conflits liés aux réseaux sociaux, la captation d’images ou encore la diffusion de contenus nuisibles.

Mais là encore, Jacques Valentin reste réservé :

« La majorité du harcèlement en ligne a lieu en dehors de l’école. Laisser les téléphones dans des casiers ne réglera pas ce problème de fond. »

Une étude de l’Université de Birmingham va dans le même sens : selon ses chercheurs, aucune preuve ne montre qu’interdire les téléphones au collège améliore les résultats scolaires ou le bien-être mental des élèves.

Quelles alternatives pour un usage responsable ?

Pour le SNES-FSU, la solution ne réside pas seulement dans l’interdiction au collège, mais dans un accompagnement plus ambitieux des jeunes.

« Le téléphone est un vrai problème, mais ce n’est pas le problème central. L’Éducation nationale manque avant tout de moyens humains et matériels. Réduire les effectifs dans les classes serait bien plus efficace pour améliorer la concentration et l’attention des élèves », insiste Jacques Valentin.

Il plaide pour une éducation au numérique intégrée, qui permette aux collégiens de développer un usage plus responsable des technologies, plutôt qu’un simple rappel à l’interdiction.

Une mesure entre symbolique et réalités pratiques

L’interdiction des smartphones au collège, généralisée en 2025, s’inscrit dans un processus engagé depuis plusieurs années. Si elle affiche une volonté politique claire, son application concrète laisse de nombreuses zones d’ombre. Sans moyens humains supplémentaires ni financement pérenne, difficile d’imaginer une mise en œuvre fluide et réellement bénéfique.

Entre ambitions affichées et réalité du terrain, la rentrée 2025 est donc un test grandeur nature pour cette mesure. Reste à voir si elle parviendra à transformer durablement le quotidien des collégiens… ou si elle restera avant tout un symbole.

Des propos recueillis par Juliette Schang
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COLCANOPA / Le Monde